- Un langage émotionnel propre
Il ne fait aucun doute que les personnes avec autisme éprouvent des sentiments. Elles ne sont pas insensibles et manifestent également leurs sentiments. Certaines peuvent manifester une expression émotionnelle impassible, mais il serait faux de penser que c’est le cas pour toutes. Elles veulent établir un contact émotionnel avec les autres. On peut donc parler de motivation émotionnelle.
L‘autisme n’est pas un problème émotionnel. Les personnes avec autisme connaissent les sentiments tout comme nous, mais la manière dont elles les manifestent est différente, d’une autre qualité que la nôtre. Cela n’a rien d’étonnant. L’autisme se caractérise essentiellement par des difficultés qualitatives en matière de communication. Il est donc logique que, chez elles, le développement de la communication des émotions s’écarte du schéma normal. Bien souvent, seuls les parents comprennent les émotions exprimées par leur enfant mais pour les étrangers, cela est souvent incompréhensible et confus.
- Pas de comédie émotionnelle
La compréhension sociale de la capacité à tempérer les émotions extrêmes fait défaut chez les personnes avec autisme. Nous pouvons cependant considérer cette incapacité ou ce déficit de façon positive. Comme les personnes avec autisme ne contrôlent pas et ne tempèrent pas leurs émotions, elles se montrent très droites et directes dans l’expression de leurs sentiments. Tout ce qui est en leur for intérieur sort sans ambages.
C’est nettement moins le cas des personnes ordinaires qui, pour des raisons sociales peuvent exprimer quelque chose de différent que ce qu’elles ressentent en réalité. Celles-ci jouent régulièrement une comédie émotionnelle. Qui n’a jamais fait bonne figure en recevant un cadeau qu’il n’apprécie pourtant pas ? La désillusion est correctement camouflée pour ne pas offenser la personne qui offre le cadeau. De telles mascarades sont rares chez les personnes avec autisme. Leur communication émotionnelle est, en général, foncièrement honnête.
- Hypersensible
Les personnes avec autisme expriment souvent leurs sentiments de manière très extrême. On peut voir chez elles des accès de fou rire, des réactions de panique ou des accès de colère importants, à tout âge. Il est également souvent question de changements d’humeur : elles sont en pleine crise de colère et quelques minutes plus tard, elles rient à gorge déployée. C’est comme s’il n’y avait pas de frein dans l’expression de leurs sentiments. Ou alors est-ce parce qu’elles sont hypersensibles et qu’elles réagissent de manière extrême ?
Les personnes avec autisme ont des difficultés à réguler et nuancer leurs émotions. Elles peuvent moins bien percevoir et comprendre les informations émotionnelles dans leur contexte. Cela ne vaut pas que pour les informations qui viennent de l’extérieur, mais également pour celles qui viennent de l’intérieur, c’est-à-dire ce qu’elles ressentent. Les personnes avec autisme ont des difficultés à prendre de la distance par rapport aux stimuli, à les traiter dans leur ensemble et en fonction du contexte. Cette distance est nécessaire pour relativiser les choses : relier les éléments entre eux, c’est relativiser. Elles sont absorbées par ce qu’elles vivent, mais aussi par leurs propres sentiments. Si elles sont fâchées, elles sont alors vraiment fâchées. Elles sont accaparées par ce sentiment absolu. Elles sont aveugles aux autres éléments de leur entourage. Ceux-ci pourraient les aider à situer ce qu’elles ressentent dans un contexte plus large et pourraient donc les aider à relativiser. Par conséquent, elles ont des difficultés à contrôler leurs sentiments et peuvent en arriver à une expression explosive de ceux-ci.
Tout un chacun contrôle l’expression de ses sentiments afin de ne pas se faire remarquer, de ne pas avoir l’air ridicule, de rester courtois, de respecter une image, de ne pas blesser ou tromper les autres. Les personnes sans autisme adaptent l’expression de leurs sentiments à l’environnement social. Il y a une motivation sociale. Nous nous prenons nous-mêmes en mains pour ne pas passer pour un personnage loufoque vis-à-vis des autres. « Que vont-ils penser de moi si je bondis de joie ? » ou « Je vais refouler mes larmes sinon ils vont me trouver trop sentimental ». Par contre, les personnes avec autisme éprouvent moins le besoin de contrôler leurs sentiments, elles ont moins de motivation sociale.
Les enfants ordinaires manifestent leurs sentiments parfois de manière extrême quand ils sont encore très petits. Qui n’a jamais remarqué au supermarché un jeune enfant qui se roule par terre en criant parce qu’il ne reçoit pas une sucrerie ? Mais, cet enfant apprend au fur et à mesure que des conventions existent quant à la manifestation des sentiments. « Je peux comprendre que tu es fâché parce que tu ne reçois pas de sucrerie, mais ne fais plus cela ! Tu dois apprendre à te tenir ! ». De plus, cet enfant apprend également que l’on peut souvent exprimer les sentiments de manière plus efficace par le langage.
Cet apprentissage se déroule plus difficilement chez les enfants avec autisme. En plus de leurs difficultés d’acquisition du langage, et de la compréhension des conventions sociales, la faculté d’empathie leur fait défaut pour évaluer la conséquence d’une expression émotionnelle extrême chez les autres. Et comme ils sont submergés par leur sentiment, il est particulièrement difficile pour eux de tenir également compte de la manière dont ils sont perçus par les autres.
- Sentiments négatifs
Les parents signalent régulièrement que leur enfant manifeste davantage de sentiments négatifs que positifs. Les personnes avec autisme semblent connaître plus souvent que nous des sentiments de tristesse, d’angoisse, de peur et de colère. Il y a probablement deux explications à ce fait.
Nous exprimons très souvent les sentiments positifs, non en fonction de nous-mêmes mais en fonction des autres. Nous voulons faire partager aux autres notre joie, notre fierté, notre ravissement. Également, exprimer des sentiments négatifs va souvent de pair avec la communication d’un besoin. Les personnes avec autisme communiquent en fonction de leurs propres besoins plutôt que pour faire plaisir aux autres. Le fait qu’elles montrent plus volontiers leurs sentiments négatifs que positifs est donc lié à un manque d’ordre social et à la nécessité de répondre à leurs besoins.
Les personnes avec autisme manifestent plus de sentiments négatifs parce qu’elles ont plus d’expériences négatives. En raison de leur handicap et de leur compréhension limitée et différente de ce monde, elles vivent bien plus de frustrations que nous. Elles ressentent davantage de stress. Elles sont souvent incomprises ; on attend beaucoup trop d’elles, leur environnement n’est pas adapté, elles sont victimes de moqueries, elles sont exclues, elles sont punies et réprimandées pour des choses auxquelles elles ne peuvent rien faire,… Bref, la vie n’est pas facile pour elles.
- Insensible
Les personnes avec autisme semblent parfois complètement insensibles parce qu’elles ne réagissent pas de manière émotionnelle à un événement émouvant. Il est possible d’expliquer cette absence de réaction émotionnelle par le fait qu’elles doivent déployer tant d’énergie pour la compréhension purement intellectuelle et cognitive de ce qu’il leur arrive, qu’il ne leur reste plus la possibilité de traiter l’aspect émotionnel de la situation. Prenons l’exemple de Karel (voir « Ils racontent… »). Il se peut qu’il soit tellement occupé à essayer de comprendre le pourquoi de la mort (qui ? pourquoi ? comment ? quand ?) que son cerveau tourne à plein régime et que le côté émotionnel lui échappe. Nous voyons souvent que les émotions se manifestent quand les situations sont comprises de manière purement intellectuelle. Les réactions émotionnelles des personnes avec autisme ont souvent du retard par rapport aux événements. Il arrive qu’un enfant avec autisme réagisse le soir à la maison à un fait qui s’est déroulé le matin à l’école. L’émotion vient des heures et parfois même des jours plus tard.
Il semble que ressentir et penser simultanément soit compliqué pour les personnes avec autisme. Soit, elles ressentent et sont alors submergées par leurs émotions parce qu’elles ne peuvent pas les relativiser, soit elles pensent et n’ont donc aucun espace pour expérimenter les sentiments qui en découlent.
- Différemment sensible
Les personnes avec autisme ne manifestent pas seulement leurs sentiments d’une autre manière, elles expérimentent également le monde différemment. Leurs propres expériences font partie des choses les plus difficiles à comprendre. Et il est difficile d’expliquer aux autres ce que l’on ne comprend pas bien soi-même.
Donna Williams, une femme ayant de l’autisme, l’exprime comme suit : « De nombreuses personnes avec autisme ont des problèmes pour traiter les sensations corporelles et voir comment elles sont liées ou non aux sentiments. » Chez elles, il y a, selon Donna Williams, trois problèmes dans le traitement des émotions par le cerveau.
Le premier problème est un manque de liaison entre les informations. Une personne qui a de l’autisme a parfois un sentiment bien défini, mais son cerveau ne lui donne aucun feedback. Comme le cerveau consacre toute son énergie au traitement des autres informations et qu’il est surchargé, la personne n’est pas consciente à ce moment-là de son sentiment. Elle est comme aveugle au sentiment interne. Naturellement, il n’est pas possible de communiquer clairement sur ce sentiment à un tel moment. Parfois, cette personne sait très bien qu’elle ressent quelque chose, mais elle ne sait pas quoi. Le cerveau ne peut donner une signification à cette expérience corporelle. Il est également difficile de communiquer : si vous ne savez pas précisément ce que vous ressentez, vous ne pouvez clairement communiquer sur le sujet.
Le second problème que Donna Williams décrit concerne le fait d’être submergé par un sentiment. L’expérience corporelle domine tout. De ce fait, un avertissement est perçu comme de la terreur, une préférence comme de l’amour, un manque d’énergie comme une dépression. Dans le cas d’un tel déluge émotionnel, la personne avec autisme sait très bien ce qu’elle ressent, mais c’est comme si le cerveau avait tourné le bouton de volume des perceptions sur le maximum. C’est la raison pour laquelle même les sentiments agréables peuvent devenir désagréables.
Enfin, il y a un traitement erroné de l’information. Le cerveau est en pleine confusion et les différents sentiments se heurtent. Ou alors ils donnent une mauvaise signification à une expérience corporelle donnée parce que le contexte de celle-ci n’est pas traité.